« La multiculturalité, un risque pour l’identité : un défi relevé par les Rroms.»

Un texte de Catherine Raffait pour l’exposition photo « RACINES – ÊTRE ROM AU HAVRE » présentée les 24, 25 et 26 avril 2015 à Seissan-Gers en Midi-Pyrénées à l’occasion du festival « Welcome in Tziganie », 13 avril 2015
Les photos de l’exposition sont ici etre-rom-au-havre.com/expo-racines

Ici une version anglaise par Harold Lush Merci Harold !

La multiculturalité, un risque pour l’identité : un défi relevé par les Rroms.

affiche-expo-A3-adela2Pour tout migrant la culture reste le dernier rempart gardien de son identité. L’enjeu étant l’inclusion dans le nouveau pays mais le risque celui l’assimilation et de la perte de sa spécificité.

La langue reste pour les enfants de double culture le bastion derrière lequel la défendre. C’est l’élément le plus immédiat dans le contact avec la culture du pays d’accueil, dans la vie de tous les jours dès qu’ils sont confrontés à la société d’accueil mais surtout à l’école s’ils peuvent y accéder et s’inclure dans la culture majoritaire. Le danger alors de la perte de l’identité culturelle est d’autant plus un risque pour les enfants Rroms du fait que la culture, l’identité, la mémoire se transmettent essentiellement par l’oral dans le milieu familial, le clan et que l’école du pays d’accueil risque de les en détourner. L’enfant Rrom comme tout enfant migrant ou issu de l’immigration se verra alors balloter au risque de mettre son identité en déséquilibre entre la culture acquise et la culture transmise (1).

Il faut distinguer l’enfant né dans le pays de parents migrants de celui qui porte en plus la culture de son pays d’origine dont il garde la nationalité qui de ce fait se heurtera aux difficultés du trilinguisme facteur d’échec scolaire.

Le rromani restant la première langue, suit la langue du pays d’origine, puis celle du pays d’arrivée où l’enracinement reste incertain du fait des difficultés d’insertion. La langue appelée à disparaître étant celle du pays d’origine qui n’a plus de raison d’être, elle sera peu à peu remplacée par celle du  » nouveau pays «  (2).

La spécificité dans le cas des Rroms est visible à travers le rromani qui véhicule et est le véhicule de cette identité qui s’enrichit sur la route de l’exil garante de la mémoire par l’écoute des anciens, des conteurs, des femmes, de la transmission qui s’opère, qui la grave et la fixe.

Plus l’identité est gravée plus elle est libre de se frotter et s’enrichir de celle des autres, pour preuve chez les Rroms la trace dans le rromani de toutes les langues des pays qu’ils ont traversés sans y perdre leur identité.

L’effacement de la culture est une résultante de l’assimilation et de l’exigence du pouvoir en place, ainsi des pressions ont été appliquées pour restreindre l’utilisation active du rromani dans certains pays.

Par la musique entre autre manifestation de leur culture ils ont ainsi plus imprégné les cultures des pays qu’ils ont traversés que l’inverse (ainsi le flamenco).

L’enfant, ou le nouvel arrivant, celui qui s’inscrit dans le nouveau pays devra donc faire acte de résistance s’il veut ne pas devoir mettre entre parenthèses, derrière un écran sa culture pour pouvoir être accepté sans devoir recourir à l’invisibilité qui longtemps était la seule solution pour s’insérer pour les Rroms si la discrimination les oblige à se cacher.

Mais à la différence d’autres migrants dont la migration est entre deux pays, les Rroms obligés au nomadisme pour raison de survie, et ne possédant pas de territoire propre ont l’habitude millénaire d’acquérir la culture de plusieurs pays d’accueil sans perdre leur propre identité qui reste supra-nationale.

Le défi est d’autant plus important que les Rroms en l’absence de territoire, de frontières n’ont, quand ils émigrent, que la transmission pour préserver leur identité. Leur Mémoire n’a été écrite longtemps que par les gadge et ils doivent d’urgence en quelque sorte s’en rendre maîtres de manière à ce qu’elle ne soit ni déviée, ni anéantie ni oubliée comme elle a failli l’être sous le nazisme.

Les Rroms sont acteurs et debout selon leur expression et la jeune génération accompagnée par les aînés milite pour faire reconnaître leur identité. La vigilance contre le risque de l’assimilation ou l’invisibilité est d’autant plus essentielle pour les sédentaires comme pour les migrants.

Leur résistance qui perdure depuis des siècles à la tentative d’anéantissement comme le nivellement qu’ils ont subi, aboutit à la création du Congrès mondial Rrom, qui devient l’Union Rromani Internationale, le 8 avril 1971 à Londres où ils choisissent comme emblème un drapeau bleu et vert avec une roue de couleur rouge et un hymne,  « Djelem, djelem ». Le mouvement institue la date anniversaire de ce congrès, le 8 avril, comme journée nationale qui sera désormais célébrée chaque année par toutes les communautés Rroms dans le monde.

Unis ainsi au-delà d’un territoire par leur identité qui nécessite du fait qu’elle n’est pas garantie dans un espace donné, d’être impérativement transmise au-delà des frontières pour être sauvegardée.

Comme le traduit l’espérance de Nicolae Gheorghe :

«Je veux espérer l’émergence d’une culture à l’échelle européenne des Rroms, le fondement de ce qui serait une population diversifiée Rroms dans toute l’Europe, dont chacun jouirait de la confiance que donne le statut de citoyen et, en outre, la possibilité de vivre dans une grande communauté Rrom, qui bénéficierait des services municipaux et de l’ accès aux différents niveaux d’auto-détermination.»

(1) « La multiculturalité, un risque pour l’identité : un défi relevé par les Rroms. » Savoir gérer cette position subordonnée par rapport à la langue est un problème fondamental pour toutes les minorités. C’est ainsi que la langue peut être un véritable champ de bataille, un lieu d’oppression, mais aussi de résistance »  écrit Toni Morison.

(2) Nicolae Gheorghe, intellectuel sociologue et militant Rrom (1946-2013) sociologue spécialiste mondial des questions liées aux Roms.

(3) « La multiculturalité, un risque pour l’identité : un défi relevé par les Rroms. » Un autre facteur important dans le monde de l’extinction des langues minoritaires est également l’éducation, les minorités ont souvent à choisir entre leur propre langue et la langue de la majorité de l’utilisation de diverses souches, en particulier économique, les avantages. Bien entendu la question est de savoir si le choix doit toujours être posée de cette façon, ou si les valeurs culturelles pertinentes et les avantages économiques de la langue de la majorité peut en quelque sorte se connecter »  Paul Kubáník.

Catherine Raffait, sociologue EHESS, animatrice du groupe militant «Contacts Rom» sur les réseaux sociaux

Texte pour l’exposition « RACINES – ÊTRE ROM AU HAVRE », 13 avril 2015
Les photos de l’exposition sont ici etre-rom-au-havre.com/expo-racines/

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2 réflexions sur « « La multiculturalité, un risque pour l’identité : un défi relevé par les Rroms.» »

  1. un texte clair , plein de respect , qui permet la réflexion , j ai particulièrement aprécié que l on cite N Gheorghe un important penseur rrom.

  2. Merci Catherine pour ce texte qui pose les difficultés liées à l’identité et à la nécessité de sa préservation afin de mieux permettre de s’intégrer. La France dans son soucis d’intégrer en évitant le communautarisme à l’anglo-saxonne a de tous temps, tenté d’effacer les identités particulières pour mieux assimiler à la « culture française ». Il en a été ainsi des identités régionales ( les enfants bretons auxquels on mettait les sabots autour du cou lorsqu’ils prononçait un mot breton à l’école. L’intégration par la honte en quelque sorte, c’est un exemple parmi des milliers). Pour les identités régionales cela est donc passé par le centralisme à la française, volonté d’assimiler avec pour corollaire, contradictoire, et ignoble la stigmatisation des populations concernées notamment lorsqu’ils venaient travailler à Paris: les bretons bêtes et incultes, les auvergnats travailleurs mais près de leurs sous, les corses fainéants, j’en passe…). Parmi ces identités, il y avait aussi ceux qu’on appelait les bohémiens qui allaient de village en village. On était content de les voir pour divers menus travaux comme étamage, paniers, pour les amusements qu’ils procuraient: cirques, musiciens… mais on leur prêtait de mauvaises intentions: voleurs de poules comme on disait et aussi voleurs d’enfants, tous ces fantasmes que l’on faisait peser sur l’inconnu celui qui n’était pas comme les autres.
    Que dire ensuite des différentes vagues d’immigrations que l’on accueillait à bras ouverts pour le travail (les hommes principalement), mais il en allait autrement des familles qui elles, allait rester, s’installer. Ce fut la même chose on a dit qu’on voulait les assimiler, notamment en éduquant les enfants, seulement on a cantonnés ces flots d’immigrés dans certains métiers (polonais dans les mines, italiens, espagnols, portugais, algériens sur les chantiers et on les a laissé dans la pauvreté, ces gens se sont trouvés regroupés dans des lieux insalubres puis dans les HLM. Pour préserver leur identité se sentir plus au chaud ces personnes sont restées entre elles. Alors on a eu le droit au polack catho, au portos maçon, à l’italien dragueur puis au bicot mesquin et violeur (revoir Dupont la joie, le film avec Carmet en dit long sur l’époque). Intégrer oui, mais en catégorisant, quelle connerie, quelle aveuglement. Tout cela passait dans cette France qui allait de l’avant, on avait le sentiment que tout cela ne concernait que la seule frange de la population qui ne voulait pas se moderniser: les beaufs, comme on disait. Maintenant, qu’on raréfie le travail, que la planète s’épuise, que les envies d’une Société plus égalitaire s’éteignent, que les égoïsmes sont les nouveaux héros de la planète fric, on voit que le mal était plus profond c’est une part non négligeable de la population (y compris les anciens discriminés) qui ne veut plus accueillir, plus grave encore, nos dirigeants, nos élites se mêlent à la « fête », parfois mème soufflent sur les braises. La question se pose, je me la pose, la France sait-elle accueillir, la patrie des Droits de l’homme l’a-t-elle d’ailleurs jamais su. L’universalité française, le nombril centraliste parisien, l’ont-ils seulement un jour su? Oui sans doute avec cette idée d’égalité, cette assimilation par l’éducation, oui encore avec cette idée de liberté autour de la laïcité notamment, chacun est libre (sans prosélytisme) de penser, croire ou ne pas croire. Liberté de religion, d’opinion, l’Etat lui s’obligeant à rester neutre… Mais qu’en est-il, de la fraternité, certes développée par toutes les solidarités collectives françaises (sécu, etc.)? Oui qu’en-est-il lorsque le vers est dans le fruit dès l’origine avec l’assimilation: cette horreur, cette démolition de l’identité des hommes, des langues et des cultures, comment les hommes qui arrivent sur le territoire peuvent-ils se construire une couche supplémentaire à leur identité? La problématique est encore plus complexe aujourd’hui avec ces vagues de réfugiés qui fuient la guerre et l’horreur à qui l’on prête des foules de défauts et de vices, pour lesquels nos dirigeants ne font rien pour améliorer les conditions pourtant inhumaines. A-t-on remarqué que ces gens ne font que passer en France (bloqués qu’ils sont à Calais)? Ces gens ne cherchent pas à s’intégrer, ils fuient, ils se réfugient, ils ne migrent pas. La France, assimilatrice, ne les intéresse pas et quand bien même, cette France, est-elle encore capable de fraternité? Alors il y a les Rroms, ces personnes à la double identité, un pays (Roumanie, Serbie, Kosovo…) qu’ils fuient souvent par soucis économique mais aussi parce que discriminés, et une culture, millénaire, la culture Rrom. Ceux là devraient d’un coup de baguette magique s’intégrer, se fondre dans la culture française, pas simple et totalement irréaliste si on reste totalement figés sur nos principes actuels. Alors c’est beaucoup plus facile de les stigmatiser d’en faire des boucs émissaires. N’est pas Sarkozy, n’est ce pas Walls!!! Ne devrait-on pas plutôt s’interroger sur la Fraternité à la française, cesser cesser cette intégration par l’assimilation et rechercher des solutions d’un intégration par le respect des identités, des cultures, dont l’Etat français soit le garant dans la neutralité.

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